Version "voyage initiatique"
Peut-on parler de Madagascar face touristique sans considérer la face réalité dite pauvreté ?
Et croyons-nous ne pas l’occulter ou savons-nous réellement ce qu’il en est ?
Mon pays au quotidien, je croyais bien le connaître, campée sur ce que je mettais sur le compte de la lucidité. Ma vie après le bac aurait dû, aurait pu poursuivre sa trajectoire, dossiers d’inscription jaune, orange, ou bleu soigneusement remplis et envoyés. Je ne l’avais même pas envisagée autrement. Mes parents, si. La décision tombe, le bac en poche, euphorie dans l’air et inscription assurée : je dois rester une année, afin de mieux connaître mon pays avant d’aller vadrouiller de par le monde. Le sacre. Enfin non, la gifle !
Mon petit monde s’effondre, moi qui étais persuadée d’avoir toujours eu les pieds sur terre, ainsi qu’une réalité de la vie à peu près correcte... Je pensais avoir fait (hum! basiquement) mes preuves : je savais faire cuire du riz depuis mes 11 ans (donc me nourrir, c’est dire !), je pouvais garder la maison un week-end ou plus lorsque mes parents étaient en déplacement (donc autonome et pas dévastatrice), j’avais parcouru une bonne partie de mon pays lors des vacances scolaires (donc insulaire avertie), j’avais déjà voyagé à l’étranger (donc étendu mes horizons et repères) et pouvais rester seule des journées entières dans un pays où je balbutiais à peine la langue pendant que mes parents travaillaient (donc me débrouiller). Qu’à cela ne tienne…
Que faire durant cette année ? De ma promotion, nous n’étions que quatre à être restés sur place cette année-là : une qui allait accoucher, une qui voulait faire une année sabbatique en parcourant les parcs nationaux de Madagascar, un qui ne pensait qu’à continuer à faire la fête au soleil des tropiques, et moi...
Première constatation : sortie de ma bulle dorée, j’ignorais quoi faire, où m’inscrire, les filières qui existaient à part médecine, droit, économie, etc… Et à priori, une année sabbatique n’était pas concevable pour ma conscience.
Mes autres amis proches étudiaient tous dans un institut en administration d’entreprises (je sais, je résume :) ), domaine qui ne m’intéressait pas. Il me restait la fac, dans une filière où on n’y est généralement pas par hasard ou pour glander, la mort dans l’âme, avec mon océan de préjugés sur la méthode universitaire façon bourrage de crâne.
Ca commence bien : je dois m’inscrire au guichet des étrangers. A la question « ma carte d’identité nationalité ne prévaut-elle pas sur la nationalité de mon baccalauréat ? », la femme au guichet me répond par un regard mi-vide, mi-dépité. J’en essuie une profonde vexation.
Nous sommes trois à patienter au guichet des étrangers : une malgache dans la même situation, que je reconnais de visu pour l’avoir rencontrée dans les salles d’examen, avec qui j’échange spontanément, entre soulagement et ralliement ; et un kenyan qui ne parle pas un mot de français, tout heureux du bien que je garde de son pays.
De l’université d’Antananarivo à Ankatso, je ne connais alors que les terrains de tennis et le terrain de foot où on allait parfois faire du jogging. Je découvre des locaux délabrés, l’éternel bricolage pour au moins pouvoir écrire avec une lueur blafarde, les snacks-gargotes, le monde universitaire.
Les premiers mois ont été un véritable apprentissage puis très vite la révélation que j’ai effectivement encore beaucoup à apprendre de mon pays. J’ai été tour à tour :
- solitaire, ne connaissant strictement personne, tandis que je vois les autres étudiants se reconnaître et former des petits groupes
- maladroite, bien que j’aurais pu prendre certaines réactions pour une atteinte à ma liberté, mais je ne l’ai pas pensé un seul instant. Une de mes grosses gaffes a été d’insister pour qu’on aille un jour déjeuner dans un resto « fast-food » qui me remémorait mes années lycée, situé sur la route de l’université. Je n’ai réalisé qu’au moment de l’addition que le prix d’un hamburger représente en fait la somme d’une semaine de frais de bus pour certains d’entre nous… Après cela, je les ai suivis, en essayant tous les snacks de l’université, où je ne me suis résolue à prendre que du riz cantonnais, et encore du bien huileux riz cantonnais, seul plat qui m’inspire alors. Qu’on ne venait pas m’en proposer le week-end lors des réunions de famille, j’en avais par-dessus le bol et en riais jaune !
- moins pressée, en relativisant et en laissant tomber la voiture pour prendre le mini-bus comme tout le monde. Les Malgaches sont connus pour être des lève-tôt, ce qui est le cas de certains étudiants qui habitent à deux heures de bus pour les plus chanceux, et deux heures à pied pour d’autres, de la fac…
- économe, lorsque je vois autour de moi comment les étudiants économisent au ma-xi-mum leur cahier ou leurs feuilles, usant de stratagèmes pour non-claustrophobes en 2D. Ils quadrillent voire surquadrillent leur feuille, adieu les marges car aucun mm2 n’est épargné, et écrivent le plus petit et le plus serré possible. Je me souviens qu’en cours élémentaire, mes parents me tanaient avec mon écriture en pattes de mouche, si bien que j’ai rapidement adopté une écriture ronde et épanouie. Mais là, impossible de changer mes habitudes de prise de note, sous les regards sidérés de mes voisins de me voir respecter les marges, sauter des lignes et même commencer un nouveau chapitre sur une nouvelle feuille. J’ignore comment ils font, visuellement, c’est abominable, s’il faut déjà se concentrer sur la forme avant d’en saisir le fond, je dis chapeau …
- touchée. Pour beaucoup, la vie est une lutte, un combat et souvent, demain est un autre jour… Une personne m’a particulièrement touchée. Plutôt renfermé, il n’est pas particulièrement loquace. J’ai sympathisé avec lui car ses dessins naturalistes sont tout simplement des chef-d’œuvres. Je lui arrive difficilement à l’épaule (histoire de me grandir un peu) mais j’ai aimé le voir faire, apprendre, échanger des explications sur les cours, etc… Lui n’a que les rizières en face de l’université à traverser pour rentrer. Mais il lit et révise ses cours… à la lueur du poteau électrique en face de sa maison, sous lequel il pose sa tablette le soir. Il n’y a pas d’électricité chez lui, et il ne peut se permettre de consommer trop de bougies, de toute manière pas pratique pour lire des cours quadrillés.
- et admirative, chapeau bas. Admirative pour bon nombre de personnes que j’y ai rencontrées avec d’énormes potentiels et des ambitions, que seul stopperont le manque de moyens ainsi que l’absence d’alternative de s’en sortir au mérite. J’y ai également fait la connaissance d’un génie, un vrai, garanti non OGM (bon mon pseudo humour craint là). A 21 ans, il avait son diplôme de polytechnicien, d’ingénieur agronome et il était en 5è année de math-info. Le tout avec un humour décapant et d’une simplicité exemplaire. Il refusait toutes les bourses d’études pour l’étranger qu’on lui proposait, et continuait tranquillement son étonnant parcours.
Bien sûr je voyais au quotidien les différents échelons de la nécessité à la misère en passant par la pauvreté. Bien sûr que je voyais mon pays tel quel, mais ni indifférente ni impliquée. Mais cette expérience m’a ouvert les yeux de jeune adulte ; pour la première fois, je regardais et non juste voyais, ces réalités que je supputais mais méconnaissais finalement.
Avec les moyens possibles et beaucoup de débrouillardise, cela m’a donné des ailes pour partir découvrir mon pays avec cette nouvelle sensibilité, ce qui m’a valu des rencontres et expériences, en tant que Malgache, inoubliables…
Cela m’a valu par ailleurs d’apprécier les personnes pour ce qu’ils sont et non pour ce qu’ils ont (ou n’ont pas), chez lesquelles je retrouve deux traits de caractère, devenus mes fidèles électrons : la simplicité et l’humilité.
Je n’avais pas besoin de traverser les frontières pour ce que je peux ainsi appeler mon voyage initiatique… Merci qui ?