Ailleurs, est-ce mieux?
En ce moment, je lis et entends des personnes dont les témoignages ont tendance à selon m'attrister soit à m'énerver sérieusement. Cela concerne le quotidien et les conditions de vie dans la Grande Ile. Et je me dis que ce blog parle certes de Madagascar, mais je le conçois également comme ne se contentant pas juste de relater son côté touristique.
Comment expliquer à quelqu'un qui n'a jamais mis les pieds hors de Madagascar qu'ailleurs, any andafy (à l'étranger, en l'occurence en France), ce n'est pas nécessairement l'eldorado qu'ils s'imaginent? Comment raconter les choses de manière tout simplement réaliste, sans verser dans le pathétique ou le pessimisme, sans détruire les rêves de certains?
Les gens ne voient que la réalisation de leurs besoins matérialistes, mais par expérience, tout le monde n'est pas fait pour vivre heureux sinon en paix, any andafy. J'entends du point de vue caractère, notamment un grand sens de l'adaptation, de la personnalité pour ne pas se faire écraser, la débrouillardise, etc... Les repères sont différents, les valeurs également. Matérialisme = bonheur? Il faut savoir prendre du recul par rapport à une société de consommation pour ne pas tomber dans la spirale de vivre au-dessus de ses moyens et de courir après ses crédits toute sa vie. Tout ça pour en mettre plein la vue à qui veut. J'ai vu les dégâts que cela peut engendrer. Mais on apprend en tirant une leçon des erreurs des autres après tout...
Toutes les générations sont concernées, mais les jeunes rêvent davantage...
Je prends l'illustration de ma grand-mère (je parle souvent d'elle en ce moment). Elle a fini par surmonter sa hantise de l'avion et accepter l'invitation d'un de ses enfants installé depuis plusieurs années, any andafy. Elle faisait partie de ces personnes qui étaient persuadées qu'ailleurs, tout est beau, tout est propre, tout est à portée de mains, que la réussite est évidente, que les voan-dalana (cadeaux que l'on ramène à la famille et amis de retour de voyage) se cueillent au premier magasin. J'exagère à peine. On avait beau expliquer et raconter des scènes du quotidien, on se fait une meilleure idée soit même finalement. C'est ainsi qu'elle a obtenu un visa "tourisme" de 3 mois, et qu'elle a débarqué aty andafy. Il y a l'euphorie du début, tout un tas de clichés qu'on est content de découvrir de nos propres yeux. Puis s'installe la réalité du quotidien, le fait de ne pas pouvoir mettre un pied dehors sans dépenser à Paris, l'individualisme, la perversité du système, la misère sociale à certains endroits. Paris est une magnifique ville, mais ma grand-mère de nature sensible, a complètement désenchanté. Elle n'avait plus qu'une idée en tête: rentrer, avancer sa date de retour. Depuis, elle ne tient plus du tout le même discours, n'incite ni n'empêche personne de s'assurer une vie meilleure ailleurs. Oui mais voilà, ailleurs, est-ce mieux?
J'ai une révision de mes réflexions sur la fuite des cerveaux à faire. J'ai ouï de nombreuses personnes rentrer ces derniers mois. Plusieurs de mes amis de promo sont revenus au pays en 2005. De la famille installée depuis longtemps aux Etats-Unis a vendu maison, voitures, ramassé leurs économies et sont rentrés, sans qu'aucune perspective ne les attende. Le même message se répète dans les blogs (sur msn spaces) de mes cadets qui s'assurent de bons niveaux d'études dans des branches à priori porteuses, et qui n'ont qu'une idée: rentrer. Pour participer à redresser Madagascar. A défaut de dire que j'adhère puisque je suis toujours là, une chose est sûre: c'est louable.
La plupart occupe des postes intéressants et surtout utiles, au service de Malgaches en les conseillant, comme les paysans, les collectivités, les ONG, sur des filières porteuses, etc... Cependant, tout n'est pas rose non plus. La phase de réadaptation de retour au pays du moramora semble inévitable. A première vue, on note les améliorations des infrastructures routières. Trouver un emploi semble moins difficile qu'ailleurs, maintenant est-ce tout de trouver? Le pouvoir d'achat des Malgaches diminue encore.
" J'aime beaucoup mon travail, mais les fins de mois sont difficiles. Je ne peux pas continuer longtemps ainsi."
" Je travaille 12h par jour, pour quasiment de l'argent de poche."
La bonne volonté de vouloir aider son pays ne suffit pas pour vivre... Comment convaincre ces jeunes qu'ils ont fait le bon choix, que leurs motivations ajoutées les unes aux autres porteront leur fruit?
Pour quel ailleurs doit-on considérer le choix comme bon? Je me le demande...
Du coup, ils se tournent vers des postes moins utiles pour les autres Malgaches, mais qui paient mieux, dans des entreprises non malgaches dont certaines venues là pour se délocaliser. Mais il semblerait que certaines confondent délocalisation et esclavage moderne, sabrant toutes les conditions de travail d'ordre humain, régies par le Code du travail.
A suivre, car toute vérité est bonne à dire...