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L'odyssée de Tattum
28 décembre 2006

De la fuite des cerveaux privilégiés: suite et fin temporelle

Précédemment, il y a eu:
Part 1: Etat des lieux: andafy n'est pas l'eldorado, va-t-on là où la vie nous mène?
Part 2: Qui rentrent, qui ne rentrent pas?
Part 3: Semblants de réponses et procrastination

Equilibre d'un couple mixte
Voici un sujet qui me tenait à coeur en 2005, et le fait d'être rentrée me ressourcer au pays en 2006 m'a permis d'avancer temporairement dans mes questions existentielles.
La jeune génération active à laquelle j'appartiens est confrontée au problème de concilier géographiquement carrière et vie privée. Sans même à avoir poussé l'exemple aux relations à distance entre l'un(e) à Madagascar et l'autre à l'étranger, l'observation est venue d'une discussion avec ma meilleure amie: "il aurait fallu qu'on ait fini nos études avant de rencontrer l' homme de notre vie, dans la ville où l'on aurait signé le CDI". Car dans le sens inverse, et pour peu qu'on ait choisi des filières intéressantes mais pas nécessairement porteuses sur le marché du travail, ce n'est pas toujours gagné, il faut parfois bousculer le destin. Par voie de double compétence certes, mais également le choix de qui suit qui.
Partie pour être une vraie carriériste, ayant décroché mon premier poste à 21 ans, promise à une rapide évolution, prête à sacrifier beaucoup pour réaliser mon rêve, j'ai néanmoins vite réalisé que la vie limitée au travail ne vaut pas grand-chose sans équilibre personnel. Equilibre d'un couple mixte.

Aussi, comme beaucoup de couples mixtes, on a déjà discuté du pays où vivre et travailler. Mais dans un contexte et environnement déjà bien plus ardus que ceux de nos parents chanceusement bien lotis (quel pléonasme!), les coups de tête ne sont pas envisageables. Ramasser le sac à dos et partir vadrouiller à la quête de l'endroit de rêve où bâtir notre hôtel, mouais... Beaucoup en parlent, mais je fonctionne beaucoup à l'intime conviction dans les décisions importantes, il semble qu'elle n'ait pas encore frappé à la porte à ce sujet.

Bégaiements
A bien y réfléchir, je n'avais pas besoin d'attendre 2006. Des faits en disaient long dès 2003... Pour des raisons trop longues à raconter, un poste m'attend (ou devrais-je parler à l'imparfait? l'histoire ne précise pas combien de temps il m'attend) dans la même entreprise où j'ai travaillé avant de poursuivre mes études en France, avec de nombreux privilèges de choix personnels. D'autant que je développerais volontiers une culture d'entreprise pour cette boîte, appartenant à un groupe multinational, leader dans son secteur, visionnaire, et soignant ses ressources humaines. Parfait portrait.

Mais nul n'est infaillible. Convoquée à un entretien pour discuter de tout cela en 2003 justement, je suis arrivée confiante, rôdée dans les questions pièges, sûre de moi en terrain connu. Un premier échange avec celui qui fût mon directeur, d'origine bretonne, avec qui j'ai toujours nombre de sujets à échanger. Puis entretien surprise avec la responsable Ressources Humaines. Brève présentation, et échanges des points communs de nos parcours, elle, a ramené son mari vazaha au pays, puis la fameuse question qui m'a fait trébucher:
"Nous réitérons notre volonté de travailler avec vous, mais tout d'abord, êtes-vous prête à rentrer?"

J'ai bégayé comme jamais, réalisant tout d'un coup qu'avec toute mon assurance, je ne m'étais pas préparée à cette question. Pas faute de ne pas l'avoir envisagée, mais parce que je n'ai toujours pas la réponse spontanée à ce jour.
"Qui ne dit mot consent", je suis loin d'être convaincue...

Pourtant privilégiée
Cerveau ou pas cerveau? Au cas où l'auto-définition s'avèrerait trop prétentieux, j'ai trouvé de tristes chiffres imparables pour de suite basculer dans le camp des ultra-privilégiés, bien qu'on soit toujours gêné de le reconnaître.
En effet, seuls deux Malagasy sur 1000 atteignent l'enseignement supérieur, et un étudiant sur deux quitte l'université au cours de sa première année. Ainsi, les licenciés universitaires forment le tiers des chômeurs de moins de 30 ans, et l'éducation ne contribue qu'à 3.8% du PIB. (source: Malango)
Effrayants comme chiffres, non? Et de me dire, oui, je fais partie de ces infimes 2‰... Voire même des 1‰ ayant survécu à la première année et achevé son parcours. Je ne peux alors qu'éprouver une reconnaissance éternelle pour mes parents pour m'avoir permise d'accéder à des études de qualité, avec la très fière conscience en plus de n'avoir jamais rien volé à l'un des miens ni pillé mon pays pour cela.

Pourtant loin
Plusieurs de ma promotion ont émis la ferme volonté de rentrer avec leurs acquis pour contribuer au développement du pays. A commencer par mes deux meilleures amies connues au lycée. L'une, ingénieur chimiste, a l'entreprenariat dans le sang, c'est de famille, et elle m'étonne toujours à chaque nouveau projet car à première vue, son idée semble saugrenue, le marché inexistant, mais elle arrive toujours à prouver le contraire, j'en suis profondément admirative. La seconde, ingénieur agronome, est rentrée la tête pleine de projets au service des paysans malagasy, et a beaucoup apporté au sein d'une ONG. Mais elle a dû renoncer à une bonne partie de son ambition altruiste et de son transfert de savoir et de technologie, en cherchant un poste avec un meilleur salaire car il faudra bien s'émanciper sans l'éternel coup de pouce des parents, mais pour une cause moins noble. Sa situation résume celle de nombre de personnes rentrées que je connais.
Tout comme ma soeur qui me relate ses périples professionnelles, le salaire proposé en signant un contrat de cadre supérieur, les conditions de travail, les attitudes, etc... dont beaucoup d'éléments appellent à la révolte.

Alors moins courageuse pour affronter cela, ou planquée derrière son équilibre géographique?
Pour rentrer, je ne devrais rien regretter. Ni ce que je laisserais derrière moi, ni la cause pour laquelle je voudrais m'investir dans mon pays, ni le salaire pour des projets que je souhaiterais réalisables où que je serais, ni cet équilibre avec peut-être la qualité de vie en plus, ni n'avoir à parler de business en parallèle de son poste pour fignoler ses fins de mois, etc, etc, etc...

En attendant, je redescends sur terre. Fin temporelle...

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Commentaires
T
Elodieriana> Ne pas manquer l'hiver canadien! Tu as de la chance de supporter le froid. Je ne devrai pas mais quelque part je me réjouis qu'il ne fasse pas si froid ici jusqu'à présent.. Sitôt après ma seconde égoïste, je pense aux ours polaires qui se noient dans ce qu'il leur reste de milieu naturel..<br /> <br /> Mais je ne me fais pas de souci pour toi et tes choix, je t'ai toujours connue battante, ambitieuse et débrouillarde. Les belles opportunités ne sourient pas au hasard. ;)<br /> Et je serai toujours ravie d'échanger sur ce sujet (et d'autres) vu qu'on sera, une fois de plus, sur la même route. :)
E
c'est émouvant tout ceci! je me sens mal des fois que faire du developpement pour d'autres cieux et aucun pour Madagascar, j'en serais capable, certes, mais j'ai aussi besoin de payer mes prêt-auto, loyer, téléphone....etc. Chaque chose en son temps, pour l'instant, les priorités sont ailleurs, réussite professionnelle, économie, famille et éventuellement enfants! Je me suis dit de prendre à l'envol les belles opportunités qui me tombent dans les mains, et je suis chanceuse qu'il y en a encore mais le poids de vouloir faire plus au pays pèse de plus en plus lourd. <br /> <br /> autre raison de ne pas rentrer pour le moment rejoint ce qui a été dit auparavant, c'est un déménagement à deux, peut-être à trois un jour. C'est le revers du couple mixte. mais on y pense ne serais-ce que permettre aux enfants de vivre les 2 cultures. Mais un déménagement doit se faire avec calcul qu'on se dit: deux boulots, un projet et ne pas manquer l'hiver canadien. <br /> <br /> mais pour l'instant, les enfants naitront au Canada sinon ils pourraient perdre leur nationalité, toutes sortes de choses/responsabilités à considérer, je déteste grandir!
T
McMalagasy> Thanks to you, je trouve toujours très intéressant d'échanger ces différences spacio-temporelles qui nous enrichissent. Pour le peu que j'ai pu connaître, effectivement, il semble bien plus intéressant de travailler avec les be kintana ;) sans Bush.<br /> A vrai dire, depuis que je travaille en France, je n'ai rencontré que deux personnes capables de s'attacher aux compétences plutôt qu'au bout de papier qu'on leur présente. L'une n'était pas chargée des ressources humaines, la deuxième si, et c'était le plus formidable entretien que j'ai jamais eu. Elle n'a même pas cherché à connaître ni mon niveau d'études ni l'intitulé de mon diplôme, mais a directement résumé les compétences acquises et développées lors de mes précédentes expériences. Le reste du temps, il faut absolument trouver une expérience identitque ou le diplôme de la bonne école ou de la bonne spécialité avant de commencer à accorder du crédit. Aussi, il devient particulièrement plaisant de démontrer qu'on peut apprendre rapidement un domaine d'activités sans 3 diplômes ciblés pour cela..<br /> Sinon, la théorie (pas si théorique que ça) du "bien né" subsiste, mais je suis la preuve vivante qu'être pistonnée, enfin, recommandée, ne suffit pas. J'ai fait triplement mes preuves mais c'était le prix à donner pour réaliser mon rêve. et peut-être tout aussi impatiente que vous (sans nul doute), je l'ai réalisé (et je ne travaillais vraiment pas pour le salaire) puis ai cherché à passer à autre chose...<br /> That's the way life goes. :)<br /> <br /> Rajiosy> sage philosophie en effet, vais voir comment m'en inspirer. :)
R
la fuite des cerveaux ? j'imagine bien de petits crânes avec de petites pattes qui trottent, qui trottent, qui trottent...<br /> <br /> aujourd'hui je pars du principe que peu importe l'endroit où je suis, mes efforts finissent par enrichir la communauté dans son sens le plus large
M
Merci Tattum de partager ton experience personnelle. Je fais partie de ceux qui comme Tomavana etaient impatients...de grandir, d'apprendre, de travailler, de rentrer etc... J'ai fait tout cela, trop vite peut-etre, mais au moins, aujourd'hui, j'ai trouve mon equilibre en definissant "l'essentiel": il faut savoir ce que l'on veut! C'est tout bete, definit comme cela mais j'ai mis longtemps avant de concretiser "ce que je voulais". Mis dans le contexte du travail, mon essentiel se traduisait par "plus de choses a apprendre, le salaire importait peu". Vu sous cet angle, je pouvais vivre a Madagascar et tout ce que j'appris sur le terrain me sert encore aujourd'hui! "Mon experience Malagasy a de loin etait la plus enrichissante" selon les recruteurs US. Quant a l'Education, je ne sais pas comment aborder ce point car je ne crois plus au diplome. Pourquoi? Tout simplement parce qu'en France, un bout de papier s'obtient "trop" facilement de nos jours. La priorite de l'E.N. etant les "statistiques" et non la "qualite". Anyway, ce serait trop long et HS de debattre sur ce point ici. Mais je rajoute, qu'aux States, c'est un peu la meme choses, la difference may be, c'est qu'a l'embauche l'experience l'emporte sur le papier, en general. Je ne sais pas si c'est toujours le papier qui l'emporte sur l'experience en France??<br /> Et je me permets d'ajouter qu'en France comme a Madagascar, "ton nom" compte enormement, un Dupont et un Rakoto, avec diplomes et experiences equivalents, ne seront jamais traites de la meme maniere dans les 2 pays, alors qu'aux States, ils seront sur le meme pied d'egalite que Smith et ce sera celui qui saura se vendre a l'embauche qui decrochera le poste!<br /> Pour finir, mon couple mixte a choisi d'etre Malagasy aux States et American a Madagascar et notre prochaine destination sera l'Asie: Chine ou Japon! Le monde nous appartient, right? Take care, Tattum.
L'odyssée de Tattum
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