Sur le Canal des Pangalanes
C'est la première fois que je parcours le Canal des Pangalanes en
longueur. Il faut dire qu'avant ce voyage, je n'avais pas de réelle
idée du mode de locomotion possible pour le découvrir, où et qui
contacter, ni des tarifs. En fait, j'ignore si je l'aurais envisagé
ainsi si je n'avais pas organisé ce circuit dans mon propre pays. J'y ai jusque-là pataugé, et même appris à nager au
niveau d'Ambila-Lemaintso, puis plus tard à Manambato.
Manambato
justement. Nous quittons la route goudronnée à Brickaville pour la
piste d'environ 7km. Une piste en mauvais état, et Daddy est soulagé
qu'il ne pleuve pas, autrement, il aurait été difficile voire
impossible de monter une pente plutôt raide qui aurait été un véritable
et dangereux toboggan en cas de piste mouillée.
L'hotel nous a
préparé un bungalow juste en bord de plage, mais nous avons dû en
changer: ils avaient allumé la lumière, toutes fenêtres ouvertes, un
bungalow devenu le lumineux Las Vegas pour moustiques et insectes en
tout genre! Le dîner nous attend également. On apprendra en fait que
l'hotel fonctionne avec un groupe électrogène allumé de 18h à 22h30, et
que par souci de logistique, on ne peut commander les plats qu'on veut,
mais un menu est proposé à chaque repas. Soit. Une soupe en entrée par
24°C toutes lucioles clignotant, ça réchauffe! Tonnum la tente, son
estomac aura moyennement apprécié.
La nuit a été courte, j'ai du mal
à dormir, entre l'odeur d'enfermé dont je suis allergique, et tout un
tas de bestioles apparemment habitués à occuper les lieux, ne se gênant
pas pour bouger, manger et que sais-je encore. Si j'avais un sac de
couchage, j'aurais été tentée de finir la nuit sur la plage! Aussi à
5h30, je suis déjà dehors, à me promener le long du lac Rasoabe. Le
ciel est très chargé, orageux, mais je profite de l'accalmie, bientôt
rejointe par Tonnum. La
plage est quasi déserte, à l'exception d'un homme qui nettoie la plage,
et plus loin, une mère et ses deux enfants en train de faire la lessive
et vider des tilapias, côte à côte. La dernière fois que je suis venue
à Manambato, on avait campé 4 jours sur cette plage, avec le club de
trekking dont j'étais membre, séjour dont je garde de chers souvenirs.
Cette fois-ci, le lieu semble sans vie, toutes les maisons secondaires
appartenant à des familles aisées de la capitale ou de Toamasina sont
closes, et les hotels semblent vides. Enfin, à 6h du matin, ça peut
paraître normal!
On décide de faire un tour dans le village, histoire d'être en
contact avec les gens. On en profite pour acheter des paquets de
biscuits dans une épicerie. Je réalise alors que je n'ai plus aucune
idée de combien coûtent les choses actuellement, c'est très
destabilisant d'autant que je n'aurais jamais cru que ça m'arriverait.
Mais trois années d'absence suffisent de toute évidence... Je réalise
ma maladresse de demander le prix à la mine étonnée de l'épicier, qui a
mis quelques secondes pour me répondre. J'espère qu'il n'a pas gonflé
le prix, question de principe. Mais ça n'a pas été le cas, on rachètera
le même paquet à Toamasina au même prix.
Nous rentrons juste à
temps, une bonne pluie bien drue caractéristique de la côte Est éclate.
Tonnum est étonné par la force de celle-ci. Elle durera trois bonnes
heures, ce qui nous laisse le temps de petit-déjeûner, bouquiner pour
Tonnum et écrire un peu pour ma part, et de discuter avec le patron de
l'hôtel. Celui-ci nous fait part de la difficulté de la logistique en
abscence d'électricité, la flambée des carburants n'aidant pour le
fonctionnement obligatoirement limité du groupe électrogène. Une
navette doit se rendre à Brickaville deux fois par jour pour chercher
les vivres de chaque repas. Il évoque également la difficulté de la
gérance de son hôtel, étant pour lui une seconde activité, car il vit à
Antananarivo. Après plusieurs expériences infructueuses, avec des
nationaux et des vazaha, il doit tout gérer lui-même, ce qui n'est pas
chose simple à raison de quelques jours de présence par mois. Cela
s'en ressent quelque peu dans la tenue de l'hotel. Mais il est certain
que devant le développement du tourisme et un marché qui va devenir de
plus en plus concurrentiel, la démarche de répondre à une charte
qualité de la part des hôtels semble incontournable. Moyennant encore
beaucoup d'efforts et d'aménagement, selon des sens de priorités qui
mériteraient probablement d'être revus. Vers 11h, le soleil revient,
éclatant. J'en profite pour me baigner,
Tonnum préférant continuer à lire. cet immense lac pour moi toute
seule, je m'y suis sentie bien petite!
Nous quittons Manambato pour quelques jours à Akanin'ny Nofy. La
vedette est ponctuelle. Nous avons de la chance, nous allons être les
seuls passagers avec le conducteur et un guide, pour une dizaines de
places.
Le Canal des Pangalanes
Nous quittons le lac Rasoabe et traversons le lac Rasamasay. Pour la petite histoire, le long de la côte Est se succèdent sur près
de 665 Km, une multitude de lacs et de lagunes naturelles, séparés de
l'Océan Indien par une mince frange de terre (de Tamatave au Nord, à
Farafangana au Sud). Des aménagements ont permis de lier ces cours
d'eau entre eux, et surtout de rendre cette voie navigable aux péniches
et chalands, assurant ainsi une navigation en sécurité.
Le canal des Pangalanes répond aux besoins commerciaux le long de la
côte Est, avec le transport de nombreux produits grâce aux ports
fluviaux aménagés dans la plupart des villes traversées. Réhabilité à
la fin des années 1980, le canal est navigable sur un tronçon d'un peu
plus de 430 Km, de la gare fluviale de Tamatave à celle de Mananjary.
Points kilométriques : le canal est balisé par des "PK" tous les dix kilomètres.
PK 0 Tamatave
PK 60 Akanin'Ny Nofy
PK 90 Ambila Lemaitso
PK 101 Andevoranto
PK 155 Vatomandry
PK 228 Mahanoro
PK 341 Nosy Varika
PK 433 Mananjary.
Source: Madagascar, le guide.
Le
Canal des Pangalanes est un milieu unique, reliant un chapelet de lacs,
de lagunes et de rivières. On est bien sur la côte Est, mais le décor
est d'une autre beauté, le long de cette artère liquide aux nervures
tantôt d'un vert profond, tantôt bleutées, entourée d'une végétation
luxuriante. Un miroir aquatique bordé de Pandanus, de bosquets d'
"oreilles d'éléphant" (Typhonodorum lindleyanum ou Alocasia macrorrhiza?),
et de majestueux ravinala. Nous croisons des pirogues de pêcheurs,
silencieuses comparées au boucan que fait le moteur de notre bateau, un
homme chargeant du bois sur une plate toute rouillée, et des villages
épars et isolés dans ce cadre.
Une épave également, probablement là depuis quelques dizaines d'années.
La
population vit essentiellement du commerce de produits locaux (bois,
frits et légumes, charbon de bois, etc...) ainsi que de la pêche. A
chaque rétrécissement de la voie, au passage d'un lac à une lagune, on
peut observer des passes à poissons, faites de roseaux et en bois, en
forme de V au fond desquelles se font piéger les poissons.
Akanin'ny Nofy
Après
une heure de trajet, nous arrivons sur le lac Ampitabe où se niche
Akanin'ny Nofy, qui porte bien son nom de "nid de rêve". Notre hotel se
trouve sur la presqu'île qui renferme également la réserve privée Le
Palmarium. Le bateau s'amarre au niveau d'un long ponton en bois,
l'accueil est sympathique, avec le cocktail de bienvenue. A peine
avons-nous monté les marches qui conduisent au jardin de l'hotel que
nous pouvons apercevoir un couple de Varis (Vari variegata),
vautrés à proprement parler sur leur branche. Quant au jardin, il est
magnifique, surtout baignant dans la lumière du jour descendant, avec
diverses variétés de palmiers, au milieu des ravinala toujours, de
plantes xérophytes comme les Aloe, d'orchidées, d'acacias de différents
coloris. Vraiment charmant. Tout
comme le bungalow, la vue surplombant le lac, avec un hamac et un salon
en bambou extérieur en terrasse et un intérieur clair et spacieux. On
est charmé.
L'hotel fonctionne également au groupe électrogène, et
les repas sont à heure fixe: le déjeûner à 12h, et le dîner à 19h,
toujours avec des menus uniques. Gloups! On va faire avec, tant pis
pour la flexibilité des horaires en vacances. Les affaires posées, nous
partons dans la forêt située derrière l'hotel, faisant attention de ne
pas sortir des sentiers balisés dans ce lieu que l'on découvre juste.
C'est un avant-goût de la visite prévue en groupe.
Le petit-déjeûner a été à la fois surprenant et magique. Ne voulant
pas rester enfermés, Tonnum et moi décidons de nous installer à une
table extérieure. Nous voici bientôt approchés par un, puis deux, puis
jusqu'à une dizaine de lémuriens, perchés sur leurs branches,
attendant, on le saura plus tard, leur friandise de bananes quotidien.
Un lemur vari, un jeune encore fou fou, a décidé qu'il voulait jouer.
Premier contact de Tonnum, avec une agréable surprise lors de la
préhension des petits doigts à coussinets et une légère inquiétude vite
passée lorsque le prosimien le mordille doucement. Mais il joue, pas
d'inquiétude à avoir.
La visite a été riche et intéressante. Le
maître des lieux et non moins guide, est particulièrement fort pour
dénicher la moindre minuscule grenouille dans un milieu ombragé dans
lequel elle se confond parfaitement, pour imiter les cris de
l'Indri-indri ainsi que du sifaka pour les attirer, ou pour expliquer
la magie des plantes épiphytes (ça m'intéresse davantage), ou encore
pour trouver des orchidées rares et singulières (pléonasme?). Je fais
la connaissance d'un guide, Hery. Son fils de 4ans, adorable et très
bavard, l'accompagne avec son groupe de visiteurs, avec qui on effectue
également le tour de la réserve. A la phrase "j'ai beaucoup voyagé", je
suis toujours tentée de répondre "Je m'en fous, ça ne change rien à ma
vie", mais ça a été son intro pour un échange fort sympathique. Il
adore son métier qu'il pratique depuis maintenant dix ans, ce qui lui a
permis de faire 4 fois le tour complet de Madagascar. Le pied! Il
préfère notamment travailler avec des groupes de scientifiques, mais
garde de très bons souvenirs de chaque région, quelque soit le
contexte. Je suis loin d'avoir fait le tour de la Grande Ile, mais j'ai
apprécié échanger avec lui, sur les endroits que je connais, ce qui
nous y a marqué, comment ça a évolué depuis, etc... J'ai gardé ses
coordonnées, pour un projet de voyage que j'ai sur la côte Ouest cette
fois de l'île. Ces personnes ont toujours de précieux conseils
pratiques.
Voir l'album Faune et Flore.
On peut également se baigner dans le lac, l'eau doit faire au moins
28°C! Histoire de s'amuser, on a enfilé nos masques, palmes et tuba, à
nager après les quelques pauvres poissons autour du ponton. Le soir de
la pleine lune, j'ai voulu l'admirer, allongée sur le ponton. J'aime
beaucoup les pleines lunes, surtout au bord de l'eau ainsi. Bien que je
ne pense pas faire partie de ces personnes influencées de près par les
mouvements lunaires, c'est un spectacle que je ne rate jamais lorsque
le cadre s'y prête. Le bruit du léger clapotis de l'eau, la lumière
bleutée reflétant sur l'eau, le contraste des couleurs sombres et
claires de la lune, et la quiétude ambiante... La scène idéale pour
laisser libre cours à ses réflexions, et ses rêves... Dire que je suis
une grande rêveuse, je le suis, mes rêves m'aident à avancer; dire
qu'il faut garder les pieds sur terre, je les ai ancrés trois lieux
sous terre. Et la tête dans la lune. C'est toute l'histoire de ma vie...
Un séjour bien agréable, idéal pour se ressourcer dans un cadre paisible, et on s'adapte aux horaires fixés.
Seul bémol: n'ayez pas la bonne idée de vous retrouver les seuls
clients restants, car par souci d'économies probablement, les lumières
peuvent être allumées avec beaucoup de retard, 1h30, et on a le temps
de se repasser les idées dans le noir!
Egalement, le cafouillage par ce qu'on entend par "prix par groupe".
Mathématiquement, si on est un groupe de 10, certes formé de 3 entités,
mais le tout formant bien le groupe de 10, et que le prix de visite par
groupe est de 10 000Ar, logiquement, cela revient à 1000Ar par
personne, non? Alors j'ai dû avoir des troubles de calcul en me rendant
compte que chaque entité a été facturée de 10 000Ar... Ce n'est "que"
4€, mais la transparence, maître-mot...
Puis de nouveau sur le Canal des Pangalanes, direction Toamasina pour un trajet de 3h. Le cadre demeure aussi unique, on croise davantage de pêcheurs, divers bateaux chargés de produits prêts à être commercialisés à Toamasina, plus de villages. Ca fait du bien, ça nous a manqué durant ces quelques jours au sein du nid. Peu avant le port fluvial, suite à un affaissement au niveau d'un barrage, le canal a été comblé par le sable. On retrouve alors les scènes telles qu'elles devaient être avant les travaux d'aménagement de 1901. Tout le monde débarque, puis on dépose toutes les marchandises au niveau de la berge, pousse l'embarcation de l'autre côté de l'éboulement, ramène le chargement, et l'on remet le tout sur le bateau. Un travail de fourmis, mais obligatoire, et personne ne rechigne. C'est aussi ça, Madagascar!